jeudi 1 mars 2007

Angeles - Elliott Smith

A un moment, ma vie a ressemblé à une nouvelle de Raymond Carver. J’étais barman dans une salle de concert et, pour m’y rendre, je devais traverser un quartier de la ville autrefois tapissé des plus beaux terrains vagues, et sur lesquels on construisait des immeubles pour « étudiants et stagiaires ». J’avais une vieille parka kaki et pendant la demi-heure de marche qui me séparait de la salle, je me chantais les mélodies d’Elliott Smith. C’était la bande-son idéale de mon existence et ses décors. Des histoires de villes corrompues où se débattent des dépossédés. J’allais servir des demis en regardant d’un œil les plus sincères et les plus mauvais groupes de France et lorsque je rentrais chez moi, tard, je pensais aussi à Monochrome, une chanson de Yann Tiersen qui allait bien avec cette vie d’alors. Il y avait quelque chose de paisible, pourtant, dans cette période de défaite. Tout comme il y a quelque chose de paisible dans Angeles, cette chanson de Either/Or. J’ai vu Elliott Smith la chanter sur la scène de la Cigale, seul avec sa guitare et j’ai été bouleversé. En sortant du concert, comme je l’ai écrit dans un courrier aux Inrockuptibles juste après sa mort, je l’ai vu devant les cars de touristes de Pigalle, seul, un sac Tati à la main, son bonnet enfoncé sur le crâne. J’avais envie d’aller lui serrer la main pour lui dire combien j’aimais sa musique. La parka m’est restée longtemps. C’est probablement à cause d’elle qu’en me croisant un jour de pluie, un gamin a dit à son copain qui cheminait à ses côtés : « tu vois, ça, c’est un clochard ». Les touristes du boulevard de Rochechouart qui croisaient Elliott Smith ce soir-là auraient pu dire la même chose. Moi je me disais que ça, c’était un génie.