mardi 27 mars 2007


I want you back - Jackson Five

Anna Rozen est mon amie et j’en suis d’autant plus fier qu’elle a écrit avec Encore un texte merveilleux. Un petit livre consacré à une seule chanson de Stevie Wonder, Joy inside my tears, qui traite du désir féminin, de l’écoute pulsionnelle d’un morceau et de l’envie de le rejouer à l’infini pour reconduire à l’infini son plaisir. C’est profond et ça parle justement de ce que la musique peut faire à l’intérieur, très à l’intérieur, et pas seulement métaphysiquement. J’adore ce texte et pourtant je n’y reconnais pas ma pratique finalement très existentielle de la musique. Aimer un morceau et appuyer sur PLAY jusqu’à le dévitaliser, c’est une source intarissable de culpabilité pour moi. Ça m’arrive pourtant : ça m’arrive même souvent. Mais il y a toujours la peur, chevillée au corps, de rester bloqué dans cette volupté particulière. Mon plaisir me fait peur et je le manipule donc, le contrarie, l’aménage, dans l’angoisse qu’un jour il ne se fane d’avoir été trop sollicité. C’est sûrement pour cette raison que je n’écoute jamais chez moi l’une de mes chansons préférées au monde. D’abord parce que c’est une chanson pour danser, ensuite parce qu’elle me rend littéralement hystérique. La house n’a pas arrêté de courir après cette fulgurance soul et ce sens dessus dessous rythmique qu’on trouve dans I want you back. Il y a le chant et les gueulantes du jeune Jackson, et puis cette cocotte infernale, l’entrée de la basse : tout, tout dans ce morceau me fait devenir furieux, jusqu’au moindre coup de cymbale. Par chance, même si je n’ose mettre ce disque radioactif dans mon lecteur de peur d’user les lattes du plancher à force de piétinements, on l’entend partout. Dans les mariages, dans les soirées soul ou disco, dans les anniversaires. Et chaque fois, la jachère à laquelle je me suis astreint décuple le plaisir de l’écoute, le rend chaque fois innocent et tonitruant. C’est imparable et c’est violent. Même Stevie Wonder ne me fait pas ça, même Marvin Gaye. Et pourtant, Marvin Gaye, c’est l’incarnation même du désir : chansons folles de grâce, langueur à tomber raide. Michel Jourde, dans un chef-d’œuvre d’article musical sur la Motown pour Les Inrockuptibles, disait qu’il était parmi les plus beaux hommes du monde, avec Corto Maltese et un Japonais dont j’ai oublié le nom. Ain’t no mountain high enough pourrait presque rivaliser avec I want you back. Mais bizarrement, pour moi, l’excitation créée par la musique va de pair avec un enthousiasme enfantin, déluré mais ingénu. A trop dire « encore », je n’apprendrais plus rien. Alors, même si c’est difficile, je passe au morceau d’après. Le morceau d’après est toujours un peu moche, un peu dégoûtant. Mais c’est en lui que se recompose déjà l’horizon d’attente où pourra bientôt renaître le fol amour de la chanson qui emporte tout sur son passage.