dimanche 25 mars 2007


Shout to the top - The Style Council

Si la mémoire des chansons peut fonctionner au quotidien, dans les marches et les lieux connus, elle est aussi active pour des moments privilégiés, des combinaisons de réel plus particulières. On va dire que j’entends des voix toute la journée mais il m’arrive d’être happé par Shout to the top en allant jouer au foot dans le parc à côté de chez moi, du printemps jusqu’au milieu de l’automne. Il me faut traverser une place colonisée par les terrasses, avec mes chaussures de sport, un short Go Sport et, en général, un tee-shirt informe. Il me faut du courage pour affronter le ridicule et la voix de Paul Weller m’assiste dans cette épreuve. Les Jam ont déjà cet effet galvanisant sur moi, comme les Clash ou les Dead Boys : c’est une musique de rassemblement, de bande et d’effronterie. Même effet avec Back on the chain gang des Pretenders, ou Precious. Sensation d’indestructibilité étonnante, et fierté inimaginable. On en oublie qu’on a un corps de crevette, on se sent pousser des grenades de FTP-MOI à la ceinture. Pour Shout to the top, il y a aussi le choc septique des violons en attaque et puis cette batterie qui part dans tous les sens, alors que Weller semble serrer les dents dans un chant de revanche. C’est idéal pour écarter les regards moqueurs et entrer sur un terrain de football quand on n’est pas très assuré. Après il suffit de réussir le premier contact, la première intimidation comme le recommande Bixente Lizarazu, et c’est parti. La sensation qui suit le match est diamétralement opposée mais tout aussi existentielle : on se tient les côtes et on regarde le ciel, par-dessus les arbres et les grilles du parc. Le corps prend un rythme qu’il faut adopter mentalement et rien de tel que de suivre une chanson pour accompagner cet apaisement où chaque cellule de l’organisme paraît sonnée. Je pense souvent à Protection de Massive Attack, dans ces moments-là. Ou bien à I’m not in love de 10CC, à The wind de Cat Stevens. Des chansons panoramiques, qui remettent en phase avec l’essentielle lenteur de la nature, herbe caressée doucement par la main alors qu’on s’est écroulé de fatigue, fourmis grimpant le long de l’avant-bras. Et puis il faut repartir, on retraverse la place bondée de monde, en sueur, vibrant de partout. Là, il n’est pas interdit d’avoir seulement de la musique dans la tête, sans aucune parole : Ravel ou le thème de Gladiator, c’est comme on veut.