lundi 12 mars 2007


Le chant des partisans - Anna Marly

Lorsqu’elle a acheté son premier lecteur de compact disc, ma mère a me semble-t-il acquis trois disques : un récital de Chopin par Arthur Rubinstein, Ferrat chante Aragon et une compilation de jazz. Peu après, nous lui avons offert Sergent Pepper’s Lonely Heart Club Band et nous avons vite connu ces quatre disques par cœur. A la même époque, j’avais comme livre de chevet un manuel de littérature du XXe siècle des éditions Magnard où je relisais sans cesse les pages consacrées à l’Affiche Rouge et à Missak Manouchian. Je me découvris un héros en Robert Desnos, dont j’apprenais les poèmes par cœur. Surréaliste, Desnos fait le con et se suspend aux lampadaires dans les représentations théâtrales. Il et se moque des vieilles badernes lettrées pour leur manque de culture populaire. C’est une sorte de punk. Pendant la guerre, Desnos fabrique de faux papiers pour des juifs et des résistants. Il est déporté et meurt du typhus à Terezin, après avoir écrit les plus belles lettres d’amour du monde à sa compagne Youki, depuis le camp français de Drancy. Desnos a écrit de la poésie mais aussi des chansons et je ne suis pas sûr qu’il fît jamais une distinction entre les deux. Moi non plus je n’en fais pas. Les enfants apprennent encore certaines de ses petites fables. Tant mieux. Dans le disque de Jean Ferrat, la Complainte de Robert le diable, écrite par Aragon, le décrit ainsi :

Et c'est encore toi sans fin qui te promènes
Berger des longs désirs et des songes brisés
Sous les arbres obscurs dans les Champs-Elysées
Jusqu'à l'épuisement de la nuit ton domaine
O la Gare de l'Est et le premier croissant
Le café noir qu'on prend près du percolateur
Les journaux frais les boulevards pleins de senteur
Les bouches du métro qui captent les passants

Je crois que c’est en entendant ça que j’appris le sens du mot « percolateur », qui me fait toujours un peu rêver. Mes héros d’enfance étaient des résistants et des poètes, pas des rock stars. C’est ainsi. Dans le Magnard, il y avait les paroles du Chant des partisans, qui est une chanson, mais qui est aussi de la littérature. Je ne peux pas l’entendre sans ressentir une légère palpitation. « Chantez, compagnons, dans la nuit la Liberté nous écoute...» : pourquoi croyez-vous que les chansons vous donnent autant de courage, chaque jour, sinon parce qu’elles nous montrent ce qu’est un être humain, et jusqu’où il peut aller lorsqu’il s’en souvient ?