samedi 17 mars 2007


La France dort - OTH

Dans une foire aux livres, nous avions acquis avec mon frère un numéro spécial de Libération consacré aux cent meilleurs albums de la période 1968-1988. J’ai lu l’ouvrage en intégralité et j’ai assez méticuleusement écouté les albums qui étaient passés en revue, sans le secours d’aucune médiathèque, concept encore vague à l’époque. J’ai aimé Prince, Fleetwood Mac et Stevie Wonder et j’en suis venu au Velvet Underground par un numéro spécial des Inrockuptibles acheté un peu au hasard. La légende veut que chaque personne ayant découvert le premier album du Velvet a fondé un groupe par la suite : moi je suis persuadé que tous ceux qui ont découvert ce numéro spécial ont ensuite fondé un fanzine. C’est mon cas et je l’ai créé en compagnie de semi-punks sympathiques dont j’étais le rédacteur en chef, à quatorze ans environ. Eux écoutaient du rock alternatif français, moi Yves Simon, mais je n’ai pas tardé à me laisser embarquer. Le fanzine portait un nom de maladie vénérienne et c’est là que j’ai publié ma première interview, du groupe Les Cadavres. Si je compare avec la dernière que j’ai réalisée – Neil Hannon – je me rends compte combien le chanteur Vérole et ses musiciens étaient extrêmement sympathiques. Un peu à l’image de cette musique, totalement mise de côté aujourd’hui, mais dont je garde un souvenir ému. Comme dans les livres de Guy Debord, il y avait là des enfants perdus et quelques utopies singulières, véhémentes, anarchiques. « Jamais plus nous ne boirons si jeunes » : certains sont morts violemment, d’autres dans un désespoir presque absolu. Le groupe le plus marquant de ce milieu fut OTH, même si je garde un bon souvenir des Satellites ou d’un live de Parabellum d’une belle et juste force. La France dort décrivait notre réalité, pays tétanisé par la crise, dont nous n’avions pas encore fait notre panorama. C’est une vraie bonne chanson et pas seulement le choix de la nostalgie. Avec un chant soucieux et habité, une sorte de lyrisme noir, urbain. OTH avait un son, quelque chose comme un souci du détail. Ils parlaient aussi d’espoir et d’union, de communautés possibles. J’aimais la hargne qu’ils mettaient dans leurs morceaux, rarement ridicules, parfois simplement limités par le manque de moyens. C’est cela aussi que j’ai découvert là-bas : rendre les choses possibles avec rien, du disque à la revue. Le rock alternatif, de quelque obédience qu’il soit, donne avant tout une méthode. Un anti-système souvent joyeux et bordélique, qui confère un parfum particulier aux chansons produites. Quand on a quatorze ans, c’est une sonorité qui marque à jamais, tout comme l’émotion de voir des œuvres se monter envers et contre tout.