vendredi 23 mars 2007


Guitarra - Madredeus

J’aime l’idée d’arriver chez quelqu’un, d’entendre quelque chose que je ne connais pas et de m’y faire. Bien sûr, ça ne marche pas à chaque coup et c’est avant tout une posture, surtout si le quelqu’un n’écoute que de la musique sérielle et du free jazz. Mais quand ça marche, c’est comme comprendre une page de L’Anti-Œdipe en deux lectures à peine. En me réveillant un matin chez mon amie Stéphanie, porte de Bagnolet, j’ai entendu Ainda de Madredeus et je me suis sincèrement demandé si j’aimais. Il y avait l’amitié et la douceur de vivre, du thé au jasmin et des livres partout : j’aurais pu aimer une chanson de U2 dans un tel environnement. Alors il a fallu se creuser un peu la sensibilité, le temps que le thé refroidisse et c’est venu, lentement, en surimpression du bonheur d’être là. Quelque chose qui n’était pas moi mais qui devenait moi, comme on s’adapte soudain aux autres climats, aux autres syntaxes. On se sent comme en homothétie de soi-même. Sans cette expérience, en insupportable snob que je suis parfois, j’aurais pu débiner cette musique apprise dans le calme qui lui convient si bien. Comme j’aurais pu nier avoir chanté à tue-tête Born in the USA dans la voiture d’une copine de lycée qui nous emmenait au centre ville. Comme j’aurais pu faire passer pour ironique mon écoute émue de Nothing else matters de Metallica, dans un lendemain de fête. On dira que la chanson n’est dans ce cas qu’un simple souvenir de la volupté universelle. C’est faux. D’ailleurs, ce ne sont que des bons morceaux, aimés de bonne foi, dans une déprogrammation des réflexes conditionnés par la doxa indie. Guitarra, quoi qu'on en dise, est une espèce de tube pour amateurs de musiques du monde. Dans d’autres circonstances, je n’aurais pas su entendre l’essence cinématographique du nylon pincé et de la voix comme un cristal bleuté. La solennité heureuse, le remaniement de la mélancolie en une parole de certitude inquiète. Je serais passé à côté, comme je le fais avec mille autres choses, préférant me concentrer sur ce que je sais déjà de mon crâne. C’est en ce sens que les goûts sont parfois une terrible malédiction.