mercredi 28 mars 2007


Les piqûres d'araignée - Vincent Delerm

A défaut de lire régulièrement de la poésie française comme mon métier m’y invite, j’écoute de la chanson française et m’en porte bien, insensible aux critiques de mauvaise foi qui lui sont faites depuis quelque temps déjà. La trouver « réactionnaire » me paraît absolument insensé, quand la trouver dévitalisante par surcroît de mélancolie est une autre affaire. D’abord je ne suis pas sûr que la mélancolie entraîne une quelconque perte politique, puisque c’est ça qui est en jeu. Je vois l’instant mélancolique comme une phase de rassemblement inévitable : qu’on décide de se projeter dans le réel par la suite et c’est presque une question de détermination sociologique. Pour le reste, il y a probablement des chansons françaises réactionnaires. Mais il suffit d’écouter Bourrée de complexes de Boris Vian, Comme ils disent d’Aznavour, Bonnie and Clyde de Gainsbourg ou Les héros de Barbès d’Yves Simon pour se rendre compte que la chanson française n’est absolument pas réac par essence. Après avoir été longtemps suspicieux, je me suis mis à écouter Vincent Delerm, constatant que derrière l’habileté littéraire, il y avait tout sauf un système et donc une vie propre. J’ai commencé par aimer la musique des Filles de 1973, puis j’ai été plus qu’ému par Le baiser Modiano et aujourd’hui, j’écoute la chanson Les piqûres d’araignée deux à quatre fois par jour. Le texte m’échappe toujours et j’aime ça. La ligne de basse me chatouille comme un rayon de soleil au printemps et les chœurs me rappellent justement Yves Simon et cet album génial que ma mère avait dans sa discothèque, Raconte-toi. Delerm est moderne comme Simon l’a été à son époque : il intègre des éléments de texte qu’un parolier classique n’aurait jamais eu l’idée d’importer. Des bribes de discours rapporté, des marques, un sujet de dissertation du bac. De la référence, du réel, alors que les réacs fuient précisément le contemporain et s’engouffre dans l’universalisant par dégoût du monde tel qu’il va. En concert, Delerm joue ses chansons, fait des blagues, se commente. On le dit égocentrique, alors il s’en sert comme d’un point de repère. Mais en marge de cette posture, il invente de toutes petites choses qu’aucun rocker indé n’oserait proposer, de peur de fracasser son rêve de grandeur pacotilleux. Et c’est à se demander si croire encore au grand cirque rock’n roll et à son spectacle clichetonneux n’était pas finalement ce qu’il y a de plus réactionnaire aujourd’hui.